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L’algorave

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Arrière-plan
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Algorave, contraction d' »algorithme » et de « rave », désigne un mouvement artistique né au début des années 2000 où des musiciens créent de la musique électronique en temps réel par le biais du live coding, transformant l’écriture de code informatique en performance scénique visible du public.

Fondé par des figures comme Alex McLean et Nick Collins, ce mouvement underground s’inscrit dans une philosophie open source et collaborative, détournant les outils technologiques pour en faire des instruments de création festive et de résistance culturelle.

Toplap et origines de l’Algorave

En février 2004, une rencontre décisive se tient dans « un bar enfumé de Hambourg » où une petite dizaine de personnes fonde Toplap, acronyme de « Temporary Organisation for the Promotion of Live Algorithmic Programming ».

Cette communauté internationale émergente, réunissant des passionnés de logiciel libre musical comme SuperCollider, rédige le premier manifeste du mouvement algorave sous forme de haïku philosophique pour développeurs.

La scène naît simultanément dans plusieurs foyers créatifs – Londres, Sheffield, Hambourg – portée par des communautés partageant l’idée révolutionnaire que les langages de programmation constituent d’excellents instruments musicaux.

Le live coding existait déjà depuis 2003-2004, mais Toplap officialise cette pratique en établissant les fondements d’une approche transparente et collaborative.

Le terme « algorave » n’apparaît qu’en 2011, soit sept ans après la formation de cette organisation pionnière, marquant l’évolution d’une pratique technique vers un véritable mouvement culturel festif.

Cette philosophie du « fun sérieux » selon Alex McLean – « tout ça est une blague, mais on y met beaucoup d’efforts » – caractérise dès l’origine l’esprit décalé et expérimental de ces événements alternatifs.

Alex McLean Nick Collins

Deux figures centrales émergent comme les architectes du mouvement algorave moderne. 

Alex McLean, également connu sous le pseudonyme yaxu et membre du collectif Slub, co-fonde Toplap en 2004 et développe plus tard TidalCycles, l’un des outils de live coding les plus utilisés de la scène. 

Nick Collins, chercheur et musicien, apporte une dimension académique cruciale au développement technique du live coding musical. 

Ensemble, ils conceptualisent et organisent le premier événement officiellement baptisé « algorave » à Londres en 2012, en marge du SuperCollider Symposium.

Leur collaboration transforme une pratique technique confidentielle en mouvement culturel accessible. 

McLean incarne l’esprit DIY et expérimental avec ses performances Slub qui popularisent le spectacle du code projeté en grand écran, tandis que Collins consolide les bases théoriques permettant l’essor international du mouvement. 

Aux États-Unis, Ge Wang complète ce trio fondateur en créant Chuck, un système révolutionnaire pour la composition algorithmique en temps réel qui influence durablement les outils de live coding.

Performances fondatrices emblématiques de l’ Algorave

Le festival CTM à Berlin établit l’algorave comme laboratoire musical numérique reconnu, attirant une audience internationale et consolidant la visibilité du mouvement expérimental. 

Les performances de Slub, menées par Alex McLean, popularisent le spectacle du live coding avec une forte interaction entre programmeur et public, célébrant l’improvisation collective et la transparence du processus créatif.

Les Algobabez (Joanne Armitage et Shelly Knotts) révolutionnent la scène en intégrant féminisme et performance artistique au live coding, apportant une dimension sociale et politique inédite. 

À l’Amersham Arms de New Cross dans la banlieue sud de Londres, des performances comme celles de l’artiste Joanne transforment l’écriture de code en spectacle hypnotique, où les lignes colorées projetées sur écran noir invoquent des rythmes organiques qui font vibrer le sol et siffler le public. 

Ces événements marquants établissent l’algorave comme forme d’art total où le codage devient expression visible, collaborative et festive.

Collectifs Algorave internationaux et en France

La scène française s’organise autour du Cookie Collective, une « escouade de touche-à-tout » basée à Lyon qui rassemble des artistes comme Azertype, Flopine et Pérégrine. 

Ce collectif organise des rassemblements algorave dans l’Hexagone et illustre parfaitement l’esprit multidisciplinaire du mouvement, mêlant live coding musical, création d’images génératives et performance visuelle. 

En juin 2025, ils programment leur première algorave au Sucre à Lyon en clôture des JIM LAC (Journées de l’Informatique Musicale), avec un line-up international incluant des collaborations comme FRONSSONS & Pérégrine et AFALFL & Flopine.

À l’international, des figures comme Renick Bell, musicien et programmeur pionnier basé à Tokyo, développent des performances virtuoses combinant rythmes glitch et sons complexes générés en temps réel. 

Alexandra Cardenas (Colombie/Berlin), Heavy Lifting, Kindohm et Antonio Roberts enrichissent cette communauté mondiale d’artistes militants de l’open source, chacun apportant sa sensibilité culturelle à cette micro-utopie numérique qui prend la forme « d’un beat écrit en langage Haskell, quelque part entre un terminal noir et les néons d’un club ».

TidalCycles et SuperCollider

TidalCycles et SuperCollider forment l’écosystème technique central de l’algorave, mais leurs rôles restent distincts et complémentaires. 

SuperCollider constitue la fondation audio – une plateforme open source dédiée à la synthèse sonore et au traitement numérique du signal qui existe indépendamment du live coding. 

TidalCycles, créé par Alex McLean, fonctionne comme un langage de patterns embarqué dans Haskell qui utilise SuperCollider uniquement comme moteur sonore via le framework SuperDirt. 

Cette architecture permet aux live codeurs d’écrire des rythmes complexes sans maîtriser la synthèse audio sous-jacente.

La philosophie cyclique de TidalCycles, inspirée de la musique classique indienne, révolutionne l’approche rythmique algorave en organisant automatiquement les patterns en boucles répétitives. 

Contrairement aux séquenceurs traditionnels qui spécifient les durées individuellement, Tidal conceptualise le temps comme des cycles métriques flexibles supportant polyrythmes et polymètres. 

Cette approche libère les artistes algorave des contraintes techniques pour se concentrer sur la création musicale pure, expliquant pourquoi TidalCycles est devenu l’outil de prédilection d’artistes comme Beatrice Dillon, Richard Devine et 65daysofstatic. 

L’environnement Strudel, version web de TidalCycles développée depuis 2022, démocratise encore davantage l’accès à cette esthétique cyclique caractéristique de l’algorave.

Syntaxe pattern notation Tidal

La mini-notation de TidalCycles constitue le langage rythmique fondamental de l’algorave, permettant aux live codeurs d’exprimer des patterns complexes avec une syntaxe remarquablement concise. 

Contrairement aux approches séquentielles traditionnelles, chaque pattern s’inscrit dans un cycle temporel fixe où l’ajout d’éléments raccourcit automatiquement leur durée individuelle – un « c d e f » produit quatre notes d’un quart de cycle chacune, tandis qu’un simple « c » occupe le cycle entier. 

Cette logique cyclique révolutionnaire, inspirée de la musique classique indienne selon Alex McLean, transforme l’écriture rythmique en manipulation d’événements temporels plutôt qu’en placement d’objets sur une timeline.

Les opérateurs de structure révèlent la sophistication mathématique sous-jacente à cette approche festive. 

L’opérateur |+ prend la structure du pattern de gauche (« 2 3 » |+ « 4 5 6 » produit « 6 8 »), tandis que +| privilégie la structure droite pour générer « 6 7 9 » . 

Les crochets créent des subdivisions ([kd sd, ch ch oh] produit un polyrythme 2 contre 3), les accolades génèrent des séquences polymètriques ({bd sd stab, cp arpy cr arpy}), et le symbole * multiplie les répétitions . 

Cette syntaxe ultra-compacte permet aux performers algorave de manipuler instantanément des structures rythmiques sophistiquées durant leurs sets, incarnant parfaitement l’esthétique du « code comme instrument » chère au mouvement.

Algorave

Installation configuration SuperCollider

L’installation de SuperCollider pour le live coding nécessite une configuration spécifique adaptée aux performances algorave. 

Après téléchargement de la version 3.14.0 (disponible pour Windows, macOS et Linux), la première étape cruciale consiste à démarrer le serveur audio via s.boot, préalable indispensable à toute production sonore. 

Les live codeurs expérimentés recommandent ensuite d’initialiser un ProxySpace avec p = ProxySpace.new.push, environnement spécialement conçu pour faciliter la création, modification et suppression d’objets sonores en temps réel.

Cette architecture ProxySpace transforme chaque élément sonore en NodeProxy, fonctionnant comme des modules interconnectables dans un synthétiseur modulaire virtuel. 

Pour optimiser les performances live, les praticiens conseillent de créer un Event vide assigné à une variable interpréteur (comme q) plutôt que d’utiliser les variables mono-caractères limitées, permettant de stocker ressources et samples de manière organisée. 

Cette configuration méthodique établit un environnement stable où chaque modification de code produit des changements sonores instantanés, essence même de l’expérience algorave où transparence technique et fluidité créative convergent.

Live coding techniques avancées

Au-delà de la simple écriture de patterns, l’algorave développe des techniques de performance sophistiquées qui transforment le code en instrument expressif. 

Le « code jockeying » constitue l’une des approches les plus prisées, permettant aux performers de manipuler des snippets pré-écrits qu’ils combinent et modifient en temps réel, à l’image de l’artiste Timeblind qui orchestre ses performances depuis un niveau supérieur de processus disponibles. 

Cette technique libère l’artiste de la construction algorithmique pure pour se concentrer sur la curation et l’assemblage créatif, utilisant des outils comme le live coding mixer intégré à la bibliothèque jitlib de SuperCollider.

La construction d’instruments personnalisés représente une dimension fondamentale mais parfois piégeuse du live coding avancé. 

Comme l’observent les praticiens Ho et R Tyler, de nombreux live codeurs tombent dans le « system building trap », devenant si absorbés par la création d’outils qu’ils négligent la performance elle-même. 

Cette obsession technique enrichit paradoxalement l’écosystème algorave : la majorité des langages comme SuperCollider, TidalCycles et ChucK restent libres et open source, alimentant une diversité d’approches créatives. 

Des environnements comme Hydra permettent de générer des visuels analogiques directement dans le navigateur, tandis que Strudel transpose la logique de TidalCycles vers JavaScript, illustrant cette constante innovation technique qui caractérise la scène.

Mini-notation fondamentale TidalCycles

La mini-notation constitue l’innovation linguistique majeure de TidalCycles, transformant l’expression rythmique en un système de symboles ultra-compact spécialement conçu pour la performance algorave. 

Cette syntaxe révolutionnaire repose sur le principe fondamental que chaque pattern s’inscrit dans un cycle temporel fixe : « c e g b » produit quatre événements d’un quart de cycle chacun, tandis que « c d e f g a b » compresse sept notes dans la même durée totale, accélérant automatiquement leur succession. 

Cette logique contre-intuitive par rapport aux séquenceurs traditionnels libère les live codeurs des calculs de durée pour se concentrer sur l’expression créative pure.

Les symboles structurels révèlent la sophistication mathématique cachée derrière cette apparente simplicité. 

Les crochets [] créent des groupements temporels ([bd sd] hh subdivise le premier temps), le point . fonctionne comme raccourci de groupement, tandis que la virgule , superpose des patterns simultanés ([bd sd, hh hh hh]). L’étoile * répète (bd*2 équivaut à [bd bd]), la barre / ralentit (bd/2 étend sur deux cycles), et les chevrons «  alternent entre patterns (bd ). 

Cette grammaire minimaliste permet aux performers algorave d’orchestrer des polyrythmes complexes avec quelques caractères, incarnant parfaitement l’esthétique du live coding où concision syntaxique et richesse sonore convergent.

Euclidean rhythms algorithmes

Les rythmes euclidiens constituent une application fascinante de l’algorithme d’Euclide au domaine musical, particulièrement prisée dans l’écosystème algorave pour générer des patterns rythmiques complexes et éviter la monotonie des boucles isochrones traditionnelles. 

Développés théoriquement par Godfried Toussaint et implémentés techniquement par Eric Björklund pour les accélérateurs de particules, ces algorithmes distribuent un nombre donné d’événements (k) sur un nombre total de pas (n) de manière à optimiser l’équidistance temporelle.

La notation E(k,n) désigne ainsi un pattern euclidien – par exemple, E(5,8) génère le rythme [x . x x . x x .] où les cinq événements se répartissent aussi uniformément que possible sur huit positions.

L’implémentation récursive de Björklund reste l’approche de référence pour produire ces patterns algorithmiquement, mais leur intégration dans les outils de live coding démocratise leur usage créatif. 

Ces rythmes euclidiens présentent des correspondances troublantes avec les traditions musicales mondiales – le pattern E(3,8) reproduit le rythme tresillo cubain, E(5,9) évoque certaines structures de la musique bulgare – suggérant une universalité mathématique des structures rythmiques humaines. 

Cette convergence entre géométrie euclidienne et musique traditionnelle offre aux live codeurs algorave un réservoir inépuisable de patterns organiques, permettant d’échapper aux grilles métriques occidentales rigides tout en conservant une logique algorithmique transparente compatible avec l’esthétique du code visible.

 

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