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Fadoul Funk Casablanca Chroniques

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Arrière-plan
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Fadoul, un musicien marocain des années 1970, a créé une fusion unique entre funk occidental et musique arabe en reprenant « Papa’s Got a Brand New Bag » de James Brown sous le titre « Sid Redad », longtemps oublié avant d’être redécouvert par le collectionneur allemand Jannis Stürtz dans une échoppe de Casablanca.

Ce médecin devenu artiste, qui s’adonnait également à la peinture et à la comédie, avait développé sa passion pour la musique américaine lors d’un séjour à Paris, créant ce que les spécialistes décrivent comme du « funk arabe joué avec une attitude punk ».

Sid Redad : Papa’s Got a Brand New Bag en arabe

« Sid Redad » représente l’adaptation la plus audacieuse de l’œuvre de James Brown dans le monde arabe, transformant le classique de 1964 en une expérience sonore totalement inédite.

L’arrangement, exécuté par un trio composé de basse, batterie et guitare, conserve le riff emblématique et le groove caractéristique de l’original tout en y intégrant des paroles en arabe et une énergie brute qui lui confère une identité propre.

La performance vocale puissante de Fadoul, enregistrée dans des conditions artisanales, capture une atmosphère live palpable qui compense largement les limitations techniques de l’époque.

Cette reprise illustre parfaitement la capacité d’absorption et de réinvention des musiques populaires marocaines des années 1970, période où Casablanca constituait un laboratoire musical fertile.

Le titre témoigne de l’influence croissante de la soul américaine sur la scène musicale nord-africaine, anticipant l’attraction qu’exerceront plus tard les grooves afro-arabes sur la musique occidentale moderne.

Redécouvert en 2012 dans une pile de vinyles oubliés, « Sid Redad » est devenu l’emblème d’une époque créative méconnue, démontrant comment les frontières musicales peuvent être transcendées par l’émotion pure et l’authenticité artistique.

Fadoul et les Privilèges: formation du trio

Aux débuts flamboyants des années 70, Fadoul croise la route du trio «Les Privilèges», composé de François Aboura à la guitare, Mustapha Haidi à la basse et Mustapha à la batterie, donnant naissance à une formation qui va marquer la scène underground casablancaise.

Cette rencontre ne ressemble pas à la genèse classique d’un groupe de conservatoire : ici, la synergie est intuitive, portée par la passion commune pour les sons électriques et une envie de casser les codes en fusionnant riffs rock, rythmes funk et mélodies orientales.

  • L’alchimie musicale du trio repose sur une énergie brute, propulsée par un jeu de guitare incisif et une section rythmique qui n’a rien à envier aux meilleures formations soul américaines de l’époque.

  • Leur processus créatif, essentiellement live et spontané, donne naissance à des morceaux à la texture rugueuse, capturant l’esprit du street-funk marocain.

  • L’influence des grands noms du funk et de la soul ne fait aucun doute, mais c’est dans l’interprétation et l’audace que le groupe façonne un son original, hybride, impossible à imiter et difficilement catégorisable.

C’est cette unicité qui, malgré l’oubli et les décennies de silence, a permis aux enregistrements du trio Fadoul et les Privilèges de ressurgir comme des pépites incontournables de la mémoire musicale maghrébine.

Jakarta Records et Jannis Stürtz découverte

La renaissance de Fadoul doit tout au flair de Jannis Stürtz, collectionneur allemand et fondateur du label Jakarta Records, qui a déniché « Sid Redad » en 2012 dans les méandres d’une échoppe poussiéreuse de Casablanca.

Cette découverte fortuite transforme instantanément un vinyle oublié en pièce de collection convoitée, révélant au monde entier l’existence de ce funk arabe hybride que personne n’avait soupçonné.

Jakarta Records, spécialisé dans l’exhumation de pépites musicales du monde entier, orchestre alors la réédition de cette perle rare, lui offrant une seconde vie sur les platines des DJ et dans les bacs des disquaires indépendants.

L’impact est immédiat : « Sid Redad » circule désormais dans les cercles de collectionneurs internationaux, témoignage tangible de ces fusions musicales audacieuses qui ont fleuri dans l’ombre des métropoles africaines des années 1970.

Cette redécouverte illustre parfaitement le rôle crucial des labels de réédition dans la préservation et la transmission des patrimoines musicaux méconnus, transformant des curiosités locales en phénomènes de portée mondiale.

Origines du Groove Marocain

La révolution funk de Casablanca puise ses racines dans le voyage parisien de Fadoul au début des années 1970, période charnière où il s’immerge totalement dans l’univers de James Brown et des maîtres du funk américain.

Cette exposition directe aux rythmes afro-américains forge sa vision artistique unique, mélangeant les polyrythmes traditionnels marocains avec les breaks caractéristiques de la soul music.

À son retour au Maroc, cette synthèse culturelle donne naissance à un son inédit : le funk maghrébin à l’attitude punk, caractérisé par des arrangements dépouillés et une intensité vocale saisissante.

L’écosystème musical casablancais des années 1970 offre le terreau idéal pour cette expérimentation sonore, avec une douzaine de labels locaux actifs – Boussiphone, Atlassiphone, Casaphone – qui encouragent les innovations musicales.

Cette effervescence créative permet à des artistes comme Fadoul d’explorer librement les frontières entre tradition et modernité, créant un langage musical hybride qui anticipe de plusieurs décennies les fusions world-music contemporaines.

Le groove marocain naît ainsi de cette alchimie particulière entre curiosité artistique, ouverture culturelle et audace créative, établissant les bases d’un courant musical underground qui influencera durablement la scène alternative nord-africaine.

Collaboration avec Ibrahim Soussi

La collaboration entre Fadoul et Ibrahim Soussi représente une dimension méconnue de l’aventure funk casablancaise, révélant l’étendue du réseau créatif qui gravitait autour de la scène alternative marocaine des années 1970.

Cette alliance artistique s’inscrit dans la logique collaborative de l’époque, où les musiciens expérimentaux de Casablanca partageaient studios, influences et vision commune d’un son hybride libéré des contraintes commerciales traditionnelles.

Soussi, figure respectée de la musique populaire marocaine, apporte à cette collaboration sa maîtrise des structures mélodiques orientales et son approche sophistiquée de l’arrangement, complétant parfaitement l’énergie brute et l’instinct funk de Fadoul.

Leur travail commun témoigne de cette période faste où Casablanca fonctionnait comme un véritable laboratoire musical, permettant des rencontres artistiques improbables entre tradition chaâbi et révolution funk.

Cette synergie créative illustre comment l’écosystème musical casablancais favorisait les expérimentations transgenres, encourageant des artistes aux parcours différents à fusionner leurs univers pour créer des sons inédits qui définiront l’identité du funk arabe marocain.

Fadoul Papa's Got a Brand New Bag

Traduction Arabe et Adaptation

L’adaptation de « Papa’s Got a Brand New Bag » en « Sid Redad » révèle les défis complexes de la traduction musicale arabe-anglais, domaine où les barrières linguistiques et culturelles exigent des stratégies créatives particulièrement sophistiquées.

Cette transformation illustre parfaitement les problématiques identifiées par les spécialistes de la traduction arabe : les déficiences lexicales, morpho-syntaxiques et les nuances polysémiques qui compliquent le transfert de sens entre ces deux systèmes linguistiques radicalement différents.

La traduction de Fadoul transcende la simple adaptation textuelle pour créer une réinvention culturelle complète, processus que les théoriciens appellent « domestication » – l’adaptation d’un texte source aux normes culturelles de la langue cible.

Cette approche s’inscrit dans la tradition historique de traduction arabe qui, depuis l’époque classique, privilégie l’adaptation créative plutôt que la fidélité littérale. Les paroles arabes de « Sid Redad » ne constituent pas une traduction directe du texte de James Brown, mais une recréation qui préserve l’énergie et l’esprit funk tout en s’ancrant dans l’imaginaire culturel marocain.

Cette stratégie répond aux défis identifiés dans la recherche contemporaine sur la traduction arabe-anglais, notamment la nécessité de gérer les « incongruités linguistiques, discursives et culturelles » entre les deux langues.

L’adaptation de Fadoul démontre ainsi comment la traduction musicale peut devenir un acte de création artistique autonome, transformant les contraintes linguistiques en opportunités d’innovation culturelle.

Impact Culturel Maghrébin

L’aventure de Fadoul s’inscrit dans un mouvement culturel maghrébin plus large où les identités musicales hybrides émergent comme expression d’une résistance créative face aux modèles culturels dominants.

Cette démarche artistique reflète les dynamiques culturelles complexes analysées par les chercheurs contemporains, qui identifient le Maghreb comme une région caractérisée par ses « entanglements » – ces enchevêtrements culturels qui transcendent les frontières traditionnelles entre centre et périphérie.

Le funk arabe de Casablanca participe ainsi de cette logique d’appropriation et de réinvention qui définit l’identité culturelle maghrébine, où les influences extérieures sont constamment réinterprétées à travers le prisme des traditions locales.

Cette approche créative s’enracine dans le patrimoine culturel immatériel maghrébin, riche en expressions orales, pratiques sociales et performances artistiques traditionnelles qui constituent, selon les anthropologues, « un trésor culturel caractérisé par un patrimoine immatériel riche ».

L’innovation de Fadoul consiste précisément à actualiser cette capacité d’absorption culturelle historique du Maghreb, région qui a toujours fonctionné comme carrefour d’influences diverses – arabes, berbères, africaines et méditerranéennes.

Son funk hybride témoigne ainsi de cette « conscience nationale » maghrébine analysée par les chercheurs, qui se construit non pas dans l’isolement culturel mais dans la capacité à intégrer et transformer les apports extérieurs en créations authentiquement locales.

Jakarta Records Label History

Jakarta Records naît d’une anecdote personnelle révélatrice de l’approche intuitive de Jannis Stürtz : le nom provient simplement de vacances passées en Indonésie, illustrant cette philosophie décontractée qui caractérise ses choix éditoriaux depuis une décennie.

Fondé en tant que label éclectique utilisant « la soul et le rap comme dénominateur commun », Jakarta s’impose rapidement comme une plateforme pour des artistes hip-hop reconnus tels qu’Anderson Paak, Suff Daddy et Blitz the Ambassador, développant une expertise précieuse dans la distribution et les relations presse qui sera cruciale pour le développement ultérieur de Habibi Funk.

L’infrastructure solide de Jakarta – connaissance des circuits de fabrication, maîtrise de la distribution, réseau de contacts médiatiques établi – transforme le lancement de Habibi Funk en 2015 en un projet viable plutôt qu’en pari risqué.

Cette expérience décennale permet à Stürtz d’éviter les écueils classiques des nouveaux labels de réédition, lui offrant la liberté de se concentrer sur l’aspect le plus chronophage : la recherche minutieuse des artistes originaux et l’acquisition des droits.

Paradoxalement, c’est un artiste Jakarta, Blitz the Ambassador, qui déclenche involontairement la révélation marocaine de Stürtz lors du festival Mawazine à Rabat, démontrant comment les projets artistiques s’alimentent mutuellement dans l’écosystème créatif berlinois.

James Brown Influence Musicale

L’influence de James Brown sur l’univers créatif de Fadoul dépasse la simple admiration pour se transformer en véritable philosophie musicale, particulièrement visible dans sa maîtrise de ce que les musicologues appellent « l’accent sur le un ».

Cette révolution rythmique brownienne, qui privilégie le premier temps de la mesure plutôt que les traditionnels deuxième et quatrième temps de la musique populaire, trouve dans les adaptations de Fadoul une traduction particulièrement efficace, créant des grooves hypnotiques qui cassent les structures verse-chorus conventionnelles.

Cette approche permet au musicien marocain de développer ce que Jannis Stürtz décrit comme un « son brut avec une attitude punk rock », une esthétique qui emprunte à Brown sa conception de la performance totale – cette « blackness organisée » faite de « chaos sous contrôle ».

  • L’adaptation des techniques vocales browniennes se manifeste dans la « voix puissante » de Fadoul, qui reproduit l’intensité émotionnelle du Godfather of Soul tout en l’ancrant dans la tradition expressive arabe

  • Les arrangements dépouillés du trio marocain reflètent l’esthétique funk de Brown basée sur la répétition hypnotique et l’extended play, concept que Stürtz identifie comme une « ré-africanisation » de la musique populaire.

  • L’esprit de liberté créative brownien transparaît dans l’approche artisanale des enregistrements, où les « erreurs » techniques deviennent des caractéristiques esthétiques assumées

Cette filiation musicale s’inscrit dans ce que les chercheurs nomment « la culture sonore du Black Power », mouvement qui utilisait la musique comme vecteur de réflexion sur l’identité noire et les connexions diasporiques.

Fadoul, bien qu’évoluant dans un contexte géographique et culturel différent, participe inconsciemment de cette dynamique en créant des ponts sonores entre l’Afrique du Nord et l’Amérique, démontrant la portée universelle du langage funk développé par James Brown.

Ibrahim Soussi Biographie Musicale

L’histoire musicale d’Ibrahim Soussi reste largement enveloppée de mystère, révélant les lacunes documentaires qui caractérisent la scène underground marocaine des années 1970.

Les archives disponibles témoignent d’une trajectoire artistique fragmentée, où les traces biographiques se mélangent entre différentes générations et contextes géographiques, illustrant la difficulté de reconstituer les parcours individuels de cette époque créative foisonnante.

Cette opacité biographique reflète paradoxalement l’esprit de l’époque : une génération d’artistes expérimentaux qui privilégiait la création collective et l’anonymat relatif face aux projecteurs commerciaux.

Contrairement aux vedettes établies du chaâbi ou de la musique populaire marocaine, Soussi et ses contemporains évoluaient dans un écosystème alternatif où la reconnaissance artistique se construisait par la réputation underground plutôt que par la médiatisation traditionnelle.

Cette discrétion volontaire, caractéristique de la scène funk casablancaise, explique pourquoi tant d’artistes de cette période demeurent des figures fantomatiques, connues uniquement par leurs collaborations ponctuelles et leurs contributions à des projets collectifs comme celui de « Sid Redad ».

Sessions Enregistrement Soussi Fadoul

Les sessions d’enregistrement entre Soussi et Fadoul se déroulent dans l’ambiance artisanale caractéristique des studios casablancais des années 1970, où les contraintes techniques transforment les limitations en signatures sonores authentiques.

Ces collaborations privilégient l’approche live, captant l’énergie brute des performances en direct plutôt que la perfection technique, philosophie qui s’aligne parfaitement avec l’esthétique punk-funk développée par le duo.

L’équipement rudimentaire disponible – magnétophones analogiques, micros de fortune et table de mixage basique – impose une économie de moyens qui pousse les musiciens vers l’essentiel : le groove, l’émotion et l’interaction instantanée entre les instrumentistes.

Cette méthodologie d’enregistrement reflète l’esprit collaborative de la scène underground marocaine, où les studios fonctionnent comme des laboratoires créatifs plutôt que comme des environnements de production commerciale.

Les sessions Soussi-Fadoul témoignent de cette période où l’expérimentation prime sur la standardisation, créant des atmosphères sonores uniques impossibles à reproduire dans les conditions modernes.

L’imperfection technique devient ainsi un marqueur esthétique assumé, donnant aux enregistrements cette texture rugueuse et cette présence physique qui séduiront plus tard les collectionneurs internationaux, confirmant que l’authenticité artistique transcende les limitations matérielles.

Fusion Gnawa Funk Moderne

La scène contemporaine de fusion gnawa-funk perpétue l’héritage pionnier de Fadoul à travers une nouvelle génération d’artistes qui réinventent cette alchimie sonore avec les outils du XXIe siècle.

Des collectifs comme Gnawa Trance Fusion d’Omar Afif explorent désormais les territoires électroniques en mélangeant les rythmes hypnotiques du guembri et des qraqeb avec des beats jazz, funk et même psychédéliques, créant des « paysages sonores qui séduisent les audiences globales ».

Cette approche moderne transcende les frontières géographiques, comme le démontre la série ZMAGRYA à Montréal, où des artistes comme BOULILA fusionnent live le gnawa traditionnel avec jazz, funk et afrobeats, transformant ces événements en « espaces d’expression et de libération » plutôt qu’en simples célébrations.

L’évolution technique permet aujourd’hui des fusions plus sophistiquées : CASAKOBRAE mélange les sonorités marocaines traditionnelles avec des rythmes contemporains dans ses sets DJ, tandis que des projets comme El Balini explorent l’intersection entre gnawa et soul jazz funk.

Cette nouvelle vague conserve l’esprit rebelle de Fadoul tout en bénéficiant d’une reconnaissance internationale immédiate, illustrée par des collaborations spectaculaires comme celle entre le phénomène cubain Cimafunk et le maâlem Khalid Sansi au Festival Gnaoua d’Essaouira, où « l’écoute et l’apprentissage mutuel » permettent de créer des fusions énergiques explosives.

Ces expérimentations contemporaines démontrent comment l’ADN funk-gnawa identifié par Fadoul continue d’évoluer, prouvant la pertinence durable de cette synthèse musicale hybride.

 

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